Comment faire de la RTS un service public de l’audiovisuel fort au Sénégal ? ( Par le Dr Albert MENDY)

Difficile de remettre en cause l’audiovisuel public au Sénégal ! Il fait partie de ces monuments, au même titre que la politique culturelle, dont il procède en partie, auxquels on ne touche jamais sans provoquer de vives réactions.

L’histoire, l’importance symbolique, le poids politique : tout concourt à faire de la Radiodiffusion Télévision Sénégalaise une vache sacrée. Cependant, il est révolu le temps où la RTS était la référence en matière de production audiovisuelle. Il y a vingt-cinq ans, elle dominait le paysage audiovisuel sénégalais et son slogan – «le public, notre raison d’être!» – illustrait son leadership dans les foyers. Aujourd’hui, elle a perdu tout son lustre et peine à tenir son rang.

Pour renaitre et assurer sa mission de service public, elle a besoin de plus de moyens. C’est pourquoi il faut diligenter le projet de décret d’application du code de la presse qui pourra lui accorder une redevance audiovisuelle.

Avec l’arrivée de Pape Alé Niang à la tête de la RTS, il serait opportun de lui doter d’une assise juridique et administrative nouvelle qui réponde aux aspirations du peuple sénégalais.

En effet, avec le vent de l’alternance qui a soufflé sur le Sénégal dans les années 2000, les gouvernants n’ont pas entrepris la restructuration des médias d’État tels que la RTS pour les adapter à l’évolution du contexte politique et socioculturel, ainsi qu’à l’émergence de la concurrence privée. Une réforme aurait dû s’opérer pour réviser les modes de gestion, le recyclage d’une partie du personnel et des efforts de renouvellement de la ligne éditoriale.

Le but de cette triple évolution économique, éditoriale et juridique serait de transformer la RTS en médias de « service public » c’est-à-dire un organe de presse indépendant, s’efforçant de satisfaire les besoins démocratiques, culturels et sociaux des populations, tout en préservant le pluralisme des courants de pensée et d’opinion. Il s’agit de promouvoir une entreprise de presse dont les contenus répondent aux besoins et aux intérêts de toutes les catégories et de tous les groupes de la société sénégalaise.

Opérer ce changement aura des conséquences sur le traitement de l’information. Les missions de service public seront mieux assumées. La RTS pourrait couper le cordon ombilical avec le pouvoir exécutif. Les produits qu’elle mettra à la disposition du public devraient refléter effectivement la diversité de la société et de ses préoccupations et ne pas être toujours destinés à rendre service au pouvoir en place.

Liberté et indépendance absolue

La mise en place d’un nouveau mode fonctionnement et de gestion indépendant de toute pression serait la condition nécessaire de l’efficacité de la RTS. Comme une grosse part des dépenses serait consacrée à faire travailler des producteurs privés, il conviendrait de mettre en place un système de sélection interdisant absolument tout favoritisme et biais idéologique.

Outre des instances collégiales suffisamment larges (et évitant le travers classique d’une sélection biaisée et pilotée par l’État), on pourrait utiliser des outils innovants. Pourquoi pas, par exemple, ne pas mettre en place une sélection des sujets et formats par crowdsourcing, ce qui permettrait à tous les acteurs et amateurs de la culture d’influencer le choix ? Il ne s’agira pas d’un processus démocratique, au sens où aucune représentativité ne serait recherchée, mais le grand nombre devrait garantir tout développement d’un clientélisme culturel.

Ce nouveau management de la RTS, ainsi libéré de toute contrainte, pourra expérimenter des nouveaux formats et de nouvelles façons de promouvoir la culture. Il faut insister sur le fait que le management de la RTS doit enfin bénéficier d’une réelle stabilité, avec des mandats longs. Le fait de changer tous les cinq ans, au rythme des alternances politiques, est un immense gâchis, empêchant le développement d’une stratégie de long terme.

Le temps du citoyen : la RTS, un média au service du public

La liberté éditoriale est apparue pour les médias publics au lendemain de l’alternance démocratique en 2000. Pour s’adapter à la nouvelle donne politique, la RTS avait été amenée à s’ouvrir davantage à d’autres tendances ou sensibilités que celles du pouvoir, à aborder des sujets auparavant occultés, à refléter les préoccupations de la société.

Progressivement, les vieilles habitudes de contrôle de la RTS par le pouvoir sont pourtant réapparues. Les nouvelles autorités ont commencé à concevoir l’exercice de leur fonction dans le cadre non plus d’un mandat strictement limité dans le temps, mais comme inscrit dans la durée. La reprise en main des médias d’État est devenue un élément de la consolidation de leur pouvoir.

Ainsi, au Sénégal, la liberté de ton réelle de la RTS n’a duré que dix-huit mois après l’alternance de 2000. Le limogeage en septembre 2002 du directeur général de la RTS, Mactar Sylla, a sonné le glas de cette liberté éditoriale. Sous les régimes d’Abdoulaye Wade et de Macky Sall, les journaux parlés et télévisés ont bien illustré la mainmise du pouvoir exécutif sur les chaines de la RTS. L’actualité événementielle ne semblait pas toujours commander la hiérarchie de l’information du journal télévisé qui commence le plus souvent par des nouvelles officielles ou institutionnelles et des communications gouvernementales.

Une programmation pour qui ?

Au-delà de cet asservissement constant aux pouvoirs politiques et institutionnels dans le domaine de l’information, la RTS, dépourvue de moyens adéquats, peine à offrir aux spectateurs une programmation de fictions qui permette aux citoyens de retrouver les images de leurs sociétés. Aussi, l’offre télévisuelle pour les sénégalais demeure caractérisée par une hégémonie d’images importées, notamment les séries de l’Asie et les télénovelas de l’Amérique du Sud. C’est grâce au succès phénoménal des telenovelas mexicaines et brésiliennes que la télévision nationale est parvenue à capter une certaine audience. Pourtant, les succès populaires des rares téléfilms, sitcoms et téléromans produits au Sénégal démontrent un fort besoin d’images endogènes. En témoignent, par exemple, les séries C’est la vie, Fann Océan et Goorgoorlu.

Alors que la plupart des instances de régulation des pays de l’Afrique posent des conditions strictes en termes de quota de diffusion de productions locales sur les ondes, la pauvreté de la programmation de de RTS ne lui permet pas de remplir cette obligation. Il urge de promouvoir une production relativement abondante de fictions, favorisée par l’émergence d’une industrie de production audiovisuelle basée sur la vidéo.
La reconquête du public doit être le souci premier des dirigeants de la RTS car l’audience est un point central de la survie de tout média. On doit s’interroger à ce sujet : « Qui regarde la RTS ou l’écoute ? Combien sont-ils à le faire et pour quelle raison ? Qu’est-ce qui les motive et qu’est-ce qu’ils pensent des programmes de la RTS ? »

La RTS ne doit pas souffrir d’un déficit de référence à l’audience, ses choix doivent être dictés par le succès ou l’échec de tel ou tel programme, et ses nouveaux dirigeants sont soucieux de proposer aux annonceurs des émissions qui bénéficient d’une audience fidèle et consistante.

Le bon modèle économique

Lors de l’inauguration de la tour de la RTS en mars 2024, l’ancien président de la République, Macky Sall a adopté un décret accordant des avantages financiers à la Radiodiffusion Télévision Sénégalaise. Ce décret a pour but de couvrir les investissements, les droits de retransmission des événements sportifs majeurs et une partie des frais de personnel. Ces avantages comprennent également une redevance audiovisuelle représentant 0,7% de la consommation électrique annuelle de la SENELEC, destinée à soutenir les coûts de production des programmes et les frais de diffusion.
D’abord financée par des fonds publics, la RTS a diversifié ses sources de revenus avec la publicité. Il y a vingt ans de cela, 80 % du budget de fonctionnement de la RTS provenait de la publicité. Avec la libéralisation du secteur de l’audiovisuel, elle ne peut plus tirer de la publicité ce qui lui permet de fonctionner. Le marché de la publicité n’est pas aussi élastique qu’on le croit. Il lui faut être plus créatif en produisant des programmes payants sur les réseaux sociaux. La structure de coût de la télévision est passée d’une dominante technique – studio, diffusion – à une structure d’échange internationalisée de concepts d’émissions et de construction d’événements médiatiques, dont les plus connus sont les coupes du monde de football et les jeux olympiques. La mise en scène de téléspectateurs ou de gens ordinaires est devenue un moyen de capter l’audience (émissions de type «télé-réalité » ou de jeux ).

Trouver le bon modèle économique reste souvent un acte d’équilibriste. Le bon modèle économique repose sur des émissions qui traitent de réalités sénégalaises avec des formules moitié pédagogie moitié divertissement. Ces émissions peuvent se faire financer à 80 % par des entreprises, des ONGs et par une redevance télé, différente de celle provenant de la Sénélec, qui fournira ensuite les 20 % restants.

Une vraie redevance audiovisuelle pour financer l’audiovisuel public !

A l’image des pays où la redevance télé a fait ses preuves, la création de cette contribution à l’audiovisuel public, peut permettre à la RTS d’avoir les moyens de bien assurer sa mission de service public. Cette redevance concernerait tout particulier ou professionnel détenant un ou plusieurs téléviseurs, smartphones, tablettes ou ordinateurs à son domicile ou dans un ou plusieurs lieux de travail. Cette taxe s’appliquerait peu importe comment le particulier ou l’entreprise a acquis le poste TV, le smartphone, la tablette ou l’ordinateur (Achat, Don, Prêt, Succession). Ce mode de financement est absolument déterminant dans l’économie de la télévision. Il oriente et guide la programmation, et pèse en conséquence sur la nature et la tonalité des programmes qui seront proposés par la RTS. La télévision repose sur trois modes de financement principaux : le financement public, la publicité et l’abonnement.

Rtsflix, une chance ?

À l’image de Netflix, la RTS peut mettre en place une plateforme « Rtsflix » qui propose des contenus culturels originaux et des documentaires inédits. En exploitant ses archives sonores et audiovisuelles, avec une qualité de connexion à l’internet très suffisante et l’utilisation de l’intelligence artificielle, la plateforme de streaming vidéo pourrait afficher un million d’abonnés. Ce qui pourrait lui permettre d’investir dans la production.
Les documentaires et reportages audiovisuels sont généralement conçus avec plus de 50% d’images d’archives provenant de multiples fournisseurs dans le monde. Par facilité, ce marché reste trop souvent national. Avec une plateforme comme « Rtsflix » permettant un accès aux vidéos nous plongeant dans le monde d’hier et une valorisation des sources locales rares et diversifiées.

Alors que la production audiovisuelle croît de façon exponentielle dans le monde, la demande d’archives audiovisuelles qui est liée croît au même rythme 30 à 40 % des images diffusées en TV sont des images achetées. Identifier et obtenir légalement des images dans des fonds de plus en plus nombreux et éclatés est par nature un véritable casse-tête devant l’absence de nomenclature, la diversité des langues, la complexité des règlementations…

Imaginez des reportages et documentaires sur Mai 68 au Sénégal, Cheikh Anta Diop, Léopold Sédar Senghor ou encore Lat Dior nourris de sources d’archives locales et inédites : de quoi rafraichir notre regard porté sur chaque évènement qui a marqué notre histoire !

Il est très compliqué de travailler avec le marché africain et surtout avec le marché africain francophone. En restaurant les émissions et les dramatiques qui ont cartonné et fait les beaux jours de la RTS, « Rtsflix » peut avoir les moyens d’investir dans la production en Afrique et dans le monde. J’y crois vraiment. Dans les cinq ans qui viennent, cela va être la révolution.

« Sénéwood » : pour un futur Nollywood à la sénégalaise

La stratégie de la RTS en matière de programmes télévisuels est de se différencier des opérateurs de télévision nationaux. La solution, c’est de proposer des programmes locaux. C’est possible d’atteindre 70% la part des productions locales tout en concédant se heurter au caractère embryonnaire de la filière de création audiovisuelle.

« Le vrai débat, c’est l’africanisation du paysage audiovisuel sénégalais ». Le marché est prometteur. Le public raffole de séries comme « C’est la vie » ou « An African City ». Reste à trouver des solutions pour financer une plus grande production de qualité au Sénégal.

Au Sénégal, depuis dix ans, des séries, telles que « Un café avec… » se positionnent comme locomotive d’un phénomène pouvant être qualifié de « Sénéwood », un futur Nollywood à la sénégalaise. Dans le passé, on a eu des réalisateurs de cinéma très importants, aujourd’hui, on est en train de créer quelque chose d’africain, qui parle africain, qui parle de la réalité africaine et qui ne soit pas une photocopie de ce qui se passe en Europe ou aux États-Unis. Dans ces séries sénégalaises, on parle de problèmes familiaux. On a créé des personnages assez représentatifs de la société sénégalaise et on les voit se dépêtrer dans leurs histoires quotidiennes. L’apparition d’une classe moyenne de plus en plus importante au Sénégal promet un bel avenir à ce genre de production et à la consommation audiovisuelle dont le marché vente-achat a doublé en trois ans pour atteindre plusieurs milliards de F CFA. L’offre de contenus locaux « relève du bon sens ». « Quand on veut rentrer dans la vie des gens, il faut parler leur langue. L’émotion est forcément plus forte quand on parle leur langue et quand on leur parle avec des contenus dans lesquels ils se retrouvent ».

Une cité de la télévision à Diamniadio !

La RTS doit également promouvoir l’émergence d’une filière comprenant producteurs, scénaristes, réalisateurs, acteurs et techniciens. Elle doit valoriser l’émergence de stars sénégalaises qui ne cherchent pas à être forcément comme les supers héros américains.
Même si elle peut utiliser sa nouvelle tour pour mieux asseoir sa stratégie de production audiovisuelle, la RTS doit se battre avec les autres télévisions privées pour avoir une cité de la télévision, dédiée à l’événementiel grand public. Cela peut être une sorte de pôle audiovisuel doté de grands studios télé où on peut tourner de grandes émissions de variétés du style « Star Academy » ou « the voice ». Au pôle urbain de Diamniadio, c’est possible de créer une cité de ce genre. Ce complexe pourrait rassembler toutes les activités essentielles à la production télévisuelle et cinématographique (rédaction de concepts d’émissions de télé, création de décors, tournage, post-production, avant-premières…) au même endroit afin de créer une réelle synergie et favoriser, ainsi, le processus créatif. On peut y trouver, notamment, des sociétés de production audiovisuelle, des agences de communication, une école de formation des animateurs de radio et de télé, des sociétés de location de matériel audiovisuel, des studios de post-production, des restaurants, des hôtels…

Conclusion

En définitive, la force structurelle, la connaissance de son public et le dynamisme dans la production de la télévision nationale permettront à la RTS de répondre aux attentes, aux besoins et aux goûts des auditeurs et des téléspectateurs.

La remise en cause réelle du périmètre d’intervention de la puissance publique est une question qui mérite d’être reposée. La renaissance de la RTS doit passer par des actes courageux ne prenant pas l’existant comme intouchable. Mes propositions montrent assez, je l’espère, combien nous sommes plus que quiconque attaché à ce que vive et se diffuse notre patrimoine culturel matériel et immatériel. C’est lui qu’il faut le plus valoriser en utilisant de nouvelles technologies numériques tels que l’intelligence artificielle, la 3D et la réalité virtuelle.
C’est ensuite, dans un second temps, que se pose la question de l’efficience de l’action : chercher à reconquérir le public ne signifie pas financer n’importe quel programme télévisuel.
Un efficace garde-fou en la matière serait que le budget alloué grâce à la redevance télé soit fixé d’une année sur l’autre, à charge ensuite aux responsables de produire avec cette enveloppe des contenus ayant le meilleur ratio quantité/qualité. Mais cela ne serait pas suffisant et il serait nécessaire qu’une instance de contrôle s’assure en permanence que la dérive d’embauche de personnels inutiles ne se produit pas. Et enfin le personnel employé pour cette production doit être adapté aux nouveaux modes de fabrication.

Dr Albert MENDY

Journaliste et professeur de communication

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