La France a récemment présenté une loi qui pourrait faciliter l’arrivée des médecins étrangers dans le pays. Pendant ce temps, le Sénégal à court de médecins fait face à une fuite des cerveaux vers la France.
Le docteur Abdoulaye Diop faisait défiler les images sur son smartphone, qui affichaient des offres de suppléance et de garde dans différents services maternels d’hôpitaux à travers la France. Les demandes s’accumulaient. « J’en reçois une dizaine par semaine », raconte le gynécologue-obstétricien sénégalais qui travaille dans une clinique privée de Dakar.
Bien que ce « pur produit du système sénégalais » n’envisage pas de s’installer en France et se contente d’un voyage annuel à Paris pour se former dans sa discipline, force est de constater que certains médecins sénégalais sont attirés par ces opportunités, qui allient salaires attractifs et logement et transport. « Plusieurs collègues font régulièrement des allers-retours entre le Sénégal et la France pour suppléer dans les hôpitaux français ou même pour s’y installer. En un mois, ils peuvent gagner ce qu’ils gagneraient en six mois ici ! » il a dit.
Il est difficile de chiffrer l’ampleur de cette fuite des cerveaux du Sénégal vers la France faute de données suffisantes. La tendance s’est accentuée ces dernières années avec les besoins croissants en personnel du secteur côté français. La motivation reflète la faible rémunération des médecins, le manque de structures médicales et les conditions de travail difficiles dans le système de santé publique sénégalais. La France offre « des conditions d’exercice plus attractives », une plateforme médicale à la pointe de la technologie et « une incitation financière plus importante ».
« L’exode des médecins africains est une réalité. De nombreux professionnels sénégalais exercent en France, et beaucoup sont des spécialistes. Nous sommes en pleine hémorragie », a déploré le Dr Boly Diop, président de l’Ordre des médecins du Sénégal. Si la France préfère s’appuyer sur ceux qui sont déjà diplômés, les étudiants sont également concernés, car nombre d’entre eux viennent en France pour se spécialiser ou faire un stage dans un hôpital, et tous ne reviennent pas.
‘Vocation’
Alors que les universités et collèges privés sénégalais forment environ un millier de médecins par an, le pays n’en recrute qu ‘ »une centaine pour les établissements publics de santé, et ne peut absorber l’intégralité du flux de diplômés », a expliqué le professeur Bara Ndiaye, doyen de la faculté de médecine, Pharmacie et Odonto-stomatologie de Dakar. En 2017, le pays comptait sept médecins pour 100 000 habitants, selon la Banque mondiale, loin de la recommandation de l’OMS qui estime qu’avec moins de 2,3 agents de santé (médecins, infirmières, sages-femmes) pour 1 000 habitants, les soins de santé primaires les besoins ne sont pas suffisamment couverts.
« Les établissements publics manquent de personnel et les professionnels de santé sont débordés par le nombre de patients », a déclaré le Dr Edmin Diatta, psychiatre à l’hôpital Fann de Dakar. Le manque de médecins, notamment de spécialistes, est flagrant dans les zones rurales. « Travailler dans le service public de santé au Sénégal, c’est une vocation. Mais ce sont nos gens, on ne peut pas les abandonner », a plaidé le Dr Mamadou Demba Ndour, gynécologue-obstétricien dans la région de Matam (nord-est) et secrétaire général du Syndicat. autonome des médecins du Sénégal (SAMES).
Faute d’emplois dans le secteur public, les jeunes diplômés se tournent vers le secteur privé mais aussi vers d’autres pays. Comme ils sont déjà qualifiés et expérimentés, ils sont très demandés à l’étranger. « Il n’y a pas vraiment de problème de reconnaissance des compétences. Ils doivent fournir une attestation de l’Ordre des médecins et passer un test vérifiant leurs connaissances », a expliqué le Dr Diop. Ils peuvent également poursuivre ou compléter leur spécialité en France. Grâce à une convention entre l’Ordre des Médecins du Sénégal et le Consulat de France, l’obtention de visas de longue durée, bien que non garantis, est aisée.
« Leur juste valeur »
« Si les hôpitaux français fonctionnent actuellement, c’est en grande partie grâce à la main-d’œuvre étrangère », observe le Dr Birane Beye, gastro-entérologue formé à l’endoscopie chirurgicale en France, qui exerce désormais entre Dakar et Orléans. Mais cette perte de médecins compétents inquiète les professionnels du secteur au Sénégal. Ils craignent que la carte de séjour spécifique « talent : professions médicales et pharmacie » dans le projet de loi sur l’immigration et l’intégration en France, présenté en Conseil des ministres mercredi 1er février, destiné à « améliorer l’attractivité » de la France, ne s’intensifie l’exode des médecins sénégalais.
« Ce projet va aggraver la fuite des cerveaux existante et aggraver les champs médicaux vides existants dans le pays. Cela aura un impact sur les soins aux patients locaux et retardera notre développement », s’est inquiété le Dr Diop.
D’autres praticiens essaient de voir des retombées plus positives pour le pays. « Cela peut être une opportunité pour renforcer les compétences des médecins sénégalais, qui pourront ensuite les importer au Sénégal », espère le Dr Ndour. En effet, nombreux sont ceux qui sont partis pour acquérir de nouvelles techniques et bénéficier d’un plateau technique de pointe mais ont hâte de revenir au Sénégal pour y développer la médecine.
Pour empêcher les médecins talentueux de quitter le Sénégal, les praticiens appellent l’État à prendre position. Malgré les efforts déployés ces dix dernières années pour augmenter les salaires, améliorer leur technologie et construire de nouvelles infrastructures, les besoins restent importants. « Il y a des médecins ‘patriotes’ qui restent pour aider à faire avancer le pays, mais même eux ont besoin d’avoir de meilleures options – aide au démarrage, augmentation de la rémunération, meilleures conditions de travail », a insisté le Dr Diop.
Une rémunération moindre des médecins étrangers par rapport à leurs homologues français, « une discrimination injustifiable » selon le professeur Ndiaye, ainsi que le « stage de renforcement des compétences » de deux ans exigé des médecins étrangers pour être inscrits à l’Ordre des médecins français et exercer librement en France ont été vivement critiquées. Les médecins étrangers ont officiellement le statut de « stagiaire intérimaire » sans salaire correspondant. « Ces médecins ont toutes les compétences et l’expérience nécessaires et sont pourtant sous la supervision d’un médecin français. Ils ne sont pas traités équitablement », a déclaré le Dr Beye.